tell me your story
1er août 2022,
C’est la veille de mon anniversaire. Demain j’aurais vingt-trois ans, et pourtant... Je sens que quelque chose cloche chez moi, j’ai peur et je ne sais pas vers qui me tourner. J’aurais dû en parler à mémé quand elle était encore là. Si je lui avais tout raconté, si j’avais pris ces cauchemars au sérieux et décidé de tout lui dire, peut-être qu’elle serait encore là aujourd’hui. Clara ne cesse de me répéter qu’elle était âgée, qu’après cent-deux ans de vie, elle allait forcément finir par mourir. Elle n’a pas tort, mais c’est étrange depuis qu’elle n’est plus là. Je l’ai connu âgée toute ma vie, elle avait déjà quatre-vingt ans quand je suis née. Bêtement, je la pensais immortelle. Je n’avais jamais réfléchi à ma vie sans elle, parce qu’elle en était une constante solide et sans failles. Je me rappelle encore de toutes les histoires qu’elle me racontait, tous ces contes sans queue ni tête mais qui me passionnaient. Elle me manque, c’est horrible. Et la culpabilité se mêle à la tristesse et à la nostalgie pour créer un très mauvais cocktail d’émotions.

Maman, Eli et moi avons décidé de rester vivre dans la manoir familial. Premièrement parce qu’il est hors de question de le vendre, et ensuite parce que nous ne sommes pas encore prêtes à lui dire au revoir. Depuis que mémé est partie, quelque chose a changé. C’est dans l’air, dans les couleurs, dans les odeurs. C’est différent jusque dans le son que produit le vent en s’engouffrant entre les branches, jusqu’aux reflets du soleil qui se couche sur le lac endormi. C’est étrange, c’est dérangeant, c’est inhabituel. Je déteste cette ville depuis qu’elle est partie, quelque chose ne va pas, quelque chose me fait peur. L’air paraît plus lourd, saturé d’électricité. Je deviens parano, j’en ai conscience. Je crois que la culpabilité m’étouffe et surgit de manière inattendue en réaction d’angoisse à n’importe quel moment de la journée. Parfois, quand je passe près de quelqu’un, mes poils se hérissent, mes muscles se tendent. Je suis en train de devenir folle, je n’ose même plus en parler à Clara tellement j’ai peur.

C’est cette histoire de cauchemars qui me hantent le plus. Au départ, c’était occasionnel, le plus souvent quand il faisait mauvais. L’orage et le cycle lunaire semblaient jouer sur mon sommeil. J’ai commencé à voir mon arrière-grand-mère mourir quelques nuits dans le mois, puis c’était en systématiques. Dès que je fermais les yeux, je la voyais disparaître. Ce n’était jamais violent, jamais sanglant. Seules la tristesse et la dévastation restaient au réveil. J’aurais dû lui en parler, c’était peut-être un signe. Des mois à avoir peur de fermer les yeux, à pleurer dans mon sommeil, à me réveiller trempée de sueur. Jusqu’à cet appel déchirant du six avril. Et depuis, plus rien. Clara a dit que c’était la peur de perdre mémé, Abby a dit que je devais être dotée d’un fort instinct ou de dons de voyance. Mais il n’y a pas que ça. Je garde tout pour mois depuis des mois mais je sais qu’il se passe quelque chose à Camden, et ça me fait peur.